AMÉLIE DARVAS ET GABY BENICIO, UNE AFFAIRE DE FEMMES
Publication : novembre 2022
Média : Saveurs magazine
Illustration : Maëva Terroy
Photos : C. Payen et M. Terroy
L’une est parisienne, l’autre brésilienne, la première est cheffe, la seconde est sommelière. Au quotidien, les deux femmes offrent leur vision du monde dans leur restaurant étoilé, niché au sein d’un petit village d’Occitanie.
On ne parle jamais de l’une sans évoquer l’autre. Quand les médias s’intéressent à elles, ils les mettent sur un pied d’égalité. Ils ne titrent pas « Amélie et sa sommelière », mais « Amélie et Gaby ». Un fait plutôt rare dans un milieu où seuls les chefs sont généralement sous le feu des projecteurs. Amélie cuisine avec ses tripes, certes, mais Gaby sert avec son cœur… Pourquoi n’en mettre qu’une en avant lorsque les deux s’investissent tout autant ? Il y a trois ans, les deux femmes ont lâché leur adresse parisienne pour venir s’installer à Vailhan, dans l’arrière-pays de l’Hérault, où elles mènent une vie monacale rythmée par les services d’Äponem, le projet de leur vie. Un restaurant gastronomique dressé sur les hauteurs du parc régional naturel du Haut-Languedoc, récompensé d’une étoile au Michelin dès sa première année d’ouverture.
La satisfaction de leurs hôtes avant tout
Loin de Paris, le duo s’est affiné. La cuisine d’Amélie, instinctive, a gagné en poésie. Les fleurs et les plantes aromatiques de leur potager ont investi ses préparations très végétales. Comme l’exprime si bien sa partenaire, « la chef amène les clients en balade ». Une balade colorée, champêtre, parsemée de quelques émois gustatifs inattendus, comme avec ce bonbon d’huile d’olive à l’enveloppe croquante et au cœur coulant, une caresse explosive pour le palais. Derrière les fourneaux, Amélie gère son service en jean et basket fluo et fume des cigarettes roulées entre deux dressages, comme pour vaincre une anxiété qui la consume. À la différence de la plupart des restaurants étoilés, elle mène la danse seule avec sa sous-cheffe. Elle se sent plus à l’aise comme cela. À deux, elles préparent jusqu’à 27 assiettes par personne et par service. On est bien loin de l’organisation traditionnelle appliquée dans les grandes brigades pour lesquelles elle a travaillé tout au long de sa carrière. Le rythme est soutenu, mais qu’importe : la cuisine, c’est toute sa vie et le plaisir de ses convives, son principal challenge. Après l’envoi des premières assiettes, elle scrute la réaction des clients depuis le passe, imperturbable. Elle veut être à la hauteur, à s’en ronger les ongles.
La liberté au cœur d’Äponem
Dans le dialecte indigène de la région de Bahia, au Brésil, pays d’origine de Gaby, Äponem signifie « bonheur ». Un concept abstrait sur lequel la sommelière pourrait philosopher durant des heures. Si le modèle économique du restaurant reste encore fragile, le bonheur des deux femmes se niche dans la liberté qu’elles prennent face aux injonctions qui pèsent sur le milieu de la restauration. Assumer leur homosexualité dans une profession réputée machiste, c’était déjà un grand un pas. Faire tourner un restaurant avec une équipe à majorité féminine – deux hommes, dix femmes – c’est encore bousculer les codes. « Les femmes avec qui l’on travaille ont beaucoup de caractère. Ce sont des amazones ! On a remarqué que les hommes n’étaient pas toujours à l’aise dans cette configuration inversée – un homme au milieu de femmes. Ça les déboussole complètement », observe Gaby, un brin sarcastique. Lorsqu’elle nous confie qu’elle a lancé un club de lecture avec son équipe pendant la pandémie afin de lui partager sa passion pour la littérature et lui ouvrir de nouveaux horizons, on ne s’étonne pas. C’est une femme de lettres avant d’être une grande sommelière. Quand Amélie propose sa version culottée du poireau pomme de terre, Gaby la présente aux clients tel un plat Rabelaisien. Äponem, c’est une fusion de leurs deux personnalités. Leurs convictions sociales y sont palpables, tout comme leur amour pour les arts. « On aborde notre travail comme une dédicace. Comme lorsque l’on va au Cirque du soleil voir Ariane Mnouchkine ou à l’opéra voir Pina Bausch, on vit chez Äponem une expérience collective. On partage notre univers. La notion d’expérience est vraiment importante pour nous », explique Gaby.
Un repas pensé comme un spectacle
12h30. Les portes en fer forgé de l’ancien presbytère, rénové pour accueillir le restaurant, s’ouvrent sur fond de Femi Kuti, de Chet Faker ou de Léo Ferré selon l’humeur du jour. Les clients sont d’abord installés en terrasse pour boire un verre en guise d’introduction. La première scène se joue devant eux, dans la contemplation d’un Languedoc vallonné, imposant. Vailhan est un petit village rural de l’Hérault, « un peu loin de tout », reconnaissent les filles. Tout autour, une forêt dense, un lac majestueux et des collines touffues au vert intense avalent l’espace. Le décor captive la foule. Derrière les coulisses, Gaby prépare le prochain acte. « L’apéritif, c’est l’étape où l’on apprend à se connaître. Je demande aux clients ce qu’ils aiment, ce dont ils ont envie de boire là, maintenant, et je compose en fonction. Chaque personne reçoit une boisson qui lui est propre ». Pendant ce temps, Amélie dresse une ribambelle de petites assiettes. Dans cette multitude de récipients bigarrés, ovales, ronds, plats, creux, en bois, en céramique, la jeune femme met beaucoup d’elle, comme dans toute performance artistique. On mange chez Äponem comme on assiste à un spectacle.
Äponem, l’Auberge du presbytère.
1 rue de l’Eglise, 34320 Vailhan, France.
L’une est parisienne, l’autre brésilienne, la première est cheffe, la seconde est sommelière. Au quotidien, les deux femmes offrent leur vision du monde dans leur restaurant étoilé, niché au sein d’un petit village d’Occitanie.