TABATA ET LUDOVIC MEY, CHERCHEURS DE GOÛTS
Publication : mai 2019
Illustration : Maëva Terroy
Média : magazine Saveurs
Depuis trois ans, le couple à la tête du restaurant lyonnais Les Apothicaires
bouscule les codes de la profession. Derrière leurs fourneaux,
les deux cuisiniers livrent une cuisine végétale à quatre main
pensée comme une promenade dans leurs deux univers.
Tout a commencé il y a environ sept ans. Top Chef, saison 3. Tabata fait son apparition sur le petit écran. La jeune femme brésilienne traverse l’Atlantique pour apprendre la cuisine française. La même année, elle prépare le concours du Meilleur Ouvrier de France. À cette période, Ludovic a quitté sa Savoie natale et travaille pour Christian Têtedoie (deux étoiles au Guide Michelin), à Lyon. Là-bas, il se révèle. Lui qui, petit, était plus concentré lorsqu’il s’agissait d’aider sa grand-mère à préparer le repas dominical qu’à l’école, surprend ses chefs par son étonnante maturité. « En général, en début de carrière, on essaie d’impressionner. On réalise des plats tape-à-l’oeil, parce qu’on veut montrer tout ce qu’on est capable de faire. Et seulement après, lorsqu’on sait un peu plus où l’on va, on épure son travail. Lorsque j’ai rencontré Ludo, il n’avait pas beaucoup d’expérience mais il savait déjà aller à l’essentiel. Ça m’a bluffée », raconte Tabata. Entre les deux cuisiniers naît d’abord un coup de cœur culinaire. Ils se rencontrent en 2013, dans les cuisines du restaurant Marguerite, supervisé par Paul Bocuse. Pour la première fois de sa carrière, Monsieur Paul confie les rênes de l’un de ses restaurants à une femme : Tabata. Ludovic y est alors son sous-chef.
Le meilleur des deux
Si l’on balaie les maisons familiales, le constat est souvent le même : dans 90 % des cas, madame est en salle, monsieur en cuisine. Une question de génération… « Ou de risque trop élevé de divorces ! », plaisante Tabata. Et l’on imagine bien la complexité de leur projet, au départ. Des années peuvent s’écouler avant qu’un chef ne trouve son identité culinaire, sa signature. Alors imaginez lorsqu’on est deux. Mixer deux univers pour n’en faire qu’un, voilà qui s’annonçait bien ambitieux. Mais le couple aime les challenges. À deux, ils ont multiplié leur potentiel. « Cuisiner, c’est parler avec son cœur, c’est exprimer son émotion, sa sensibilité », explique la chef. Même s’ils se disent complémentaires aujourd’hui, il a fallu laisser de la place à l’autre pour que la magie opère. S’écouter,se parler et surtout mettre son ego de côté. Prendre le meilleur de l’un et le sublimer avec le meilleur de l’autre. La créativité de Ludovic, cadrée et magnifiée par la technique de Tabata. L’héritage savoyard d’un côté, les influences latines de l’autre. Tout cela, évidemment mêlé aux inspirations puisées lors de diverses expéditions culinaires au Brésil, en Chine ou encore au Danemark. Ça n’est qu’une bonne année après l’ouverture de leur restaurant que leurs violons s’accordent enfin et que cette fameuse signature émerge. Celle d’une cuisine audacieuse, maîtrisée, très végétale, singularisée par un travail poussé sur la fermentation des aliments, hérité d’un passage en duo chez Noma, auprès de René Redzepi. Là-bas, Tabata et Ludovic découvrent la palette infinie de saveurs que la nature peut offrir dès lors que l’on maîtrise cette technique empruntée à nos ancêtres.
Une créativité débordante
Dans l’immense bibliothèque qui habille l’un des murs du restaurant trône une multitude de petits bocaux garnis de leurs essais culinaires. Vinaigre de cerise, pickles de carottes, myrtilles à l’eau-de-vie, shitakés séchés, lichen, huiles végétales fumées… Comme les apothicaires d’antan, ils rapportent de leurs balades des fruits, des fleurs et des herbes sauvages, qu’ils font infuser, fumer ou mariner au vinaigre, déshydratent, mettent en saumure, salent… De ces préparations naissent des créations brillantes et surprenantes, comme cette poutargue d’oursin servie avec des pétales de butternut, ce miso maison détourné en crème glacée ou cette purée de prunes fermentées que l’on vient cueillir au fond d’un bol, surplombée d’un sorbet d’agastache (plante aromatique) frais et mentholé, lui-même recouvert d’une mousse servie chaude, mêlant pomme de terre et chocolat blanc. La cuisine des Apothicaires n’existerait pas l’un sans l’autre. Elle s’est construite à deux. C’est leur force. L’autre atout indéniable de ce restaurant, c’est cette équipe jeune, souriante, motivée et stimulée par ces chefs auxquels ils sont fidèles. Ensemble, ils s’investissent aussi sur le tout nouveau projet du couple : celui de transformer la Tour Rose de Lyon – un bâtiment historique du Vieux-Lyon – en un food court intimiste version gourmet nommé Food Traboule. Rendez-vous dans quelques mois pour l’ouverture de ce nouveau lieu prometteur.
Les Apothicaires, 69006 Lyon. Menus : 24 € et 28 € (midi), 59 € (soir). Fermé samedi et dimanche.
Depuis trois ans, le couple à la tête du restaurant Les Apothicaires, à Lyon, bouscule les codes de la profession.
Derrière leurs fourneaux, les deux cuisiniers livrent une cuisine végétale à quatre main pensée comme une promenade dans leurs deux univers.