LA FINE FLEUR DE LA GARRIGUE
Publication : juin 2024
Média : Saveurs magazine
Les plantes aromatiques et médicinales bio, cultivées,
récoltées et séchées dans l’entreprise familiale menée
par Sophie et Gaëtan de Clock, incarnent un bel exemple
de valorisation respectueuse d’un territoire réputé difficile.
Le panorama est grandiose. Dressée sur une colline, en surplomb d’un vallon sauvage d’une dizaine d’hectares, la ferme du Domaine de Pouzes incarne un modèle d’agriculture que l’on rêve de voir se répandre, symbole d’une reconnexion entre l’homme et le monde vivant. À aucun moment l’entreprise familiale ne s’est imaginé dompter, contrôler, transformer ce décor cévenol typique au sol sec et pauvre, où les couches de calcaire, de schiste et de ruffe (terre rouge) rendent vaine toute tentative d’arrosage en profondeur – l’eau ne pénètre pas, elle reste en surface. En faisant le choix d’une agriculture écologique, ils abandonnent tout désir de contrôle de leur environnement.
Une entreprise qui fait sens
Le couple et leurs trois filles s’installent en septembre 2017, après avoir multiplié les allers-retours pour étudier ce vallon où ils souhaitent vivre en bonne intelligence. 165 hectares de bois longent une prairie où vivent de nombreux animaux, insectes et oiseaux. Ils suivent les recommandations du Centre national de la propriété forestière (CNPF) et laissent les arbres morts tranquilles plutôt que d’en faire des bûches et de « nettoyer » la forêt, leur décomposition servant de repas et de logis à de nombreux insectes. Ils conservent le ruisseau sec qui traverse la prairie, indispensable et précieux lors des épisodes cévenols (pluies torrentielles). Ils s’intéressent aux variétés de plantes médicinales qui poussaient déjà à l’état sauvage sur le territoire, comme l’immortelle localisée au pied de la chapelle, les thyms sur les crêtes, l’origan sur les talus… Leur désir d’une agriculture biologique sans intrants, sans arrosage quotidien, qui respecte les caractéristiques du terrain et s’adapte au climat méditerranéen rythmé par de fortes chaleurs, des hivers de moins en moins rigoureux et peu de précipitations concentrées sur quelques jours, les oriente vers la culture de plantes médicinales et aromatiques. Seules des plantes de garrigue peuvent résister à des conditions climatiques extrêmes et apprécier leur sol drainant. Allant au bout de leur réflexion, ils se concentrent sur les plants sauvages, leur rusticité innée décuplant leurs capacités de résistance.
Un regard neuf sur la terre
Tous les deux en reconversion, un début de carrière dans la communication, pour Sophie, et dans l’aide au développement des entreprises, pour Gaëtan, ils se considèrent comme des néo-ruraux, avec tout ce que cette dénomination porte en elle. Pourtant, ne pas avoir grandi avec les pieds dans la boue et les mains dans la terre leur permet d’aborder leur métier sans idées préconçues, sans formatage d’école, sans enfermement dans un modèle agricole hérité et que l’on perpétuerait sans questionner. Ce qui s’annonçait comme un frein devient leur force. Cette grande liberté d’action leur permet de se lancer dans une démarche qui leur ressemble et s’aligne sur leurs valeurs. « Nous faisons de l’agroécologie. Nous plantons directement sur prairie au lieu de labourer. Moins on intervient sur les sols pauvres, mieux ils se portent. Ça nous permet de conserver des sols vivants, voire de régénérer les sols, d’avoir une variété de plantes incroyable et donc une riche biodiversité sur un terrain sec et pauvre », explique Sophie, enthousiaste. Les ex-citadins, nourris par le bon sens et la connaissance, deviennent alors des alchimistes. Les décennies de recherches scientifiques s’intéressant à cette alternative agricole sont unanimes : l’observation d’écosystèmes subissant peu d’interventions humaines montre une importante production de biomasse, un faible développement d’espèces invasives, une faible érosion des sols et une biodiversité élevée, tandis que l’agriculture conventionnelle – modèle agricole dominant largement le marché français et mondial – entraîne la contamination de l’eau, des sols et des sous-sols, dégrade les terres, détruit la biodiversité et nuit à la santé des agriculteurs et des consommateurs.
Un produit fini de qualité
Vouloir minimiser son impact sur la biodiversité, c’est aussi renoncer aux machines pensées avec des logiques de rendements. « Nous avons décidé de fabriquer nos outils, parce que rien n’était adapté à notre méthode », explique le couple. L’agroécologie ne représente qu’un pourcentage minime de l’agriculture française, et l’outillage peu invasif dont ils ont besoin pour travailler est une autre partie prenante de leur activité. Avec l’Atelier Paysan, une coopérative qui accompagne les agriculteurs et agricultrices dans la conception et fabrication de machines adaptées à une agroécologie paysanne, ils pensent, conceptualisent et modèlent leurs outils tout en développant une agriculture low tech. « Nous créons des outils et nous faisons aussi des ajustements de bon sens sur des outils existants, comme lorsque l’on dégonfle volontairement les roues du tracteur pour ne pas trop compacter le sol. C’est important qu’il ne soit pas trop tassé. Regardez un chemin emprunté régulièrement par un tracteur: le sol garde le relief des roues, mais il n’y a pas l’ombre d’une vie dans ces traces », déplore Gaëtan. Toute cette énergie mobilisée par ces néo-agriculteurs contribue au caractère exceptionnel des tisanes, des eaux florales et des huiles essentielles du Domaine de Pouzes, disponibles sur place mais aussi sur le site internet. Les balades agricoles proposées entre avril et octobre sont d’excellentes occasions de comprendre les enjeux qui se cachent derrière le travail colossal et précieux du couple. L’immersion pouvant même s’étirer le temps d’un séjour exclusif dans leur ferme d’hôtes, havre de paix d’une simplicité sophistiquée, imprégné par leur souci du détail. Sophie et Gaëtan excellent dans l’art de prendre soin du vivant, quelle qu’en soit sa forme.
Domaine de Pouzes, 34600 Pézènes-les-Mines. Ferme d’hôtes : 210 € pour 2 nuits pour 2 personnes, petit déjeuner inclus. Panier repas : 40 € pour 2 personnes (sans le vin).
Les plantes aromatiques et médicinales bio, cultivées, récoltées et séchées au Domaine de Pouzes incarnent un bel exemple de valorisation respectueuse d’un territoire réputé difficile.